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De quoi Pierre Richard est-il le nom ?

Brèves considérations sur le mariellisme, le belmondisme et autres avatars de la masculinité made in Cinéma Français, millésime 70

par Pierre Tevanian
16 août 2014

Il est bon parfois de ne pas éteindre son téléviseur. Cette bonne idée, je l’ai eue il y a quelques mois, après avoir regardé – sur la chaîne Ciné + Classic – un étrange et émouvant film de Jean Cocteau, Le testament d’Orphée, et elle m’a permis de suivre – sur Ciné + Classic toujours, que j’ai donc laissé filer toute la soirée – une instructive incursion dans les masculinités mainstream – bio, blanches, bourgeoises, hétérosexuelles – des années soixante-dix… Retour, à l’occasion des quatre-vingts ans de Pierre Richard, sur une passionnante soirée...

D’abord avec un petit film drôle qui a plus de quarante ans mais qui a bien vieilli, Les malheurs d’Alfred (1972), un des meilleurs Pierre Richard (si on excepte le génial Naufragés de l’île de la tortue de Jacques Rozier), dont je découvre alors qu’il est réalisé par Pierre Richard lui-même mais scénarisé par quelqu’un que j’aime beaucoup et que je n’attendais pas là : Roland Topor ! Sur fond de satire féroce de la télévision et de ses déjà souriants et déjà crapuleux animateurs, le malheureux Alfred est tout mignon, et Pierre Richard ramène tranquillement dans la culture mainstream un petit quelque chose de beatnik et de poétique, en imposant un personnage, son personnage, déjà esquissé deux ans plus tôt dans Le distrait, que la suite déclinera plus ou moins de la même manière, du Grand Blond avec une chaussure noire à La chèvre et Les compères, en passant par Je suis timide mais je me soigne : rêveur, gauche, malchanceux, dépressif, voire suicidaire, inadapté en tout cas au monde du travail, de la famille et de la patrie – bref : au patriarcat.

Suivait, juste après, un autre film qui, lui, a très mal vieilli : Les galettes de Pont Aven (1975), avec Jean-Pierre Marielle dans le rôle de Jean-Pierre Marielle, c’est-à-dire du mâle franchouillard moustachu en détresse millésime seventies, mais des seventies ni joyeuses ni libertaires ni gauchistes ni surtout féministes, non : les seventies bien rances, réactives, réactionnelles, réactionnaires, celles de Bertrand Blier, celles des faussement rebelles Valseuses, du pathétique Calmos ! (avec Marielle, encore, justement), celles aussi du grotesque Sex shop de Claude Berri (avec Marielle, toujours !).

Le pitch du film, c’est toujours la même histoire, exactement la même que dans Calmos ! – et (me semble-t-il, de mémoire) que dans tout Bertrand Blier : peu après mai 68, un quinqua nerveux fait son caca nerveux. Il balance à sa vilaine femme castratrice tout ce qu’il a sur la patate (et en gros, sur la patate, il en a gros) et dans la foulée il prend ses cliques et ses claques, ses toiles, sa peinture et ses pinceaux de peintre du dimanche, et à lui les grands espaces... Mais attention, ce n’est ni On the road ni Easy rider ! Non : juste Jean-Pierre Marielle qui picole, qui peint ses toiles au coucher du soleil, qui surtout fourre son nez dans des culs de femmes jeunes, jolies, pas bavardes et pas indociles, en fait de simples réceptacles muets pour son mal-être quinquagénaire, et qui ne le sort (son nez, de ces culs) que pour marielliser (si si, ça existe : marielliser, et vous voyez très bien de quoi il s’agit).

Donc il mariellise :

« Ooooh ! Je revis ! »

« Aaaahhh ! Nom de Dieu de bordel de merde ! »

« Haaaaann ! Ce cul ! Quelle merveille, quel joyau ! Ma petite, ton cul est sublime. ».

Je passe sur beaucoup d’autres choses, notamment un rapport sexuel imposé « tout naturellement » à une femme non consentante, des brutalités physiques sous couvert de désarrois et d’ivrognerie, bref : tout dans ce film est d’un sexisme répugnant. On pense, du coup, à cette autre abjection millésimée 70 : Le dernier tango à Paris (1972), dont Les galettes de Pont Aven est une sorte de remake un peu plus frenchy et un peu moins chic – sans Brando, sans Maria Schneider, sans la caution « Nouvelle Vague » de Jean-Pierre Léaud, sans le joli saxophone de Gato Barbieri – mais, dans le fond, ni plus ni moins infâme. Le même androcentrisme larmoyant, la même manière – sordide – de filmer la sexualité, le même défoulement sur les femmes.

Au même moment (le milieu des années 70), un Jean-Paul (Belmondo) incarnera une version hypervirilisée de cette panique morale du Jean-Pierre (Marielle) à l’heure du féminisme émergent, dans des histoires de police, de cascades et de mégères apprivoisées, tandis qu’un Jean tout court (Rochefort), pourtant de la génération du Bébel et du Marielle (et même leur pote de promo au Conservatoire national, ou quelque chose dans le genre) aura assez d’intelligence, ou de sensibilité, ou des deux, pour aller voir un peu de l’autre coté, et se pierre-richardiser un peu – et cela donnera de jolis petits films comme Courage fuyons ! (1979) ou Un éléphant ça trompe énormément (1976) [1].

Au même moment aussi, ne l’oublions pas, tout de même, pendant que Marlon se meurt dans un tango et que Jean-Pierre dragouille et peint des croûtes à Pont-Aven, de leur côté, sans même les calculer, Céline et Julie vont en bateau !

Au même moment toujours débute dans la chanson, et un peu au cinéma, le charmant Alain « Bidon » Souchon, que la très bête et surtout très méchante Elisabeth Badinter jettera en pâture à la vindicte populaire en tant que funeste incarnation – je n’invente rien, je la cite – de « l’homme mou ». Eh bien parole de téléspectateur qui vient d’enchaîner les malheurs d’Alfred et les jérémiades du moustachu de Pont-Aven : vive les hommes mous, vive Alain Souchon, vive Pierre Richard !

P.-S.

À l’ami Plink Apatride

Notes

[1Réalisés par Yves Robert, qui fut également l’auteur de la série du Grand Blond avec Pierre Richard.