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Legrand (c** ?)

Quand, la veille de la journée internationale des droits des femmes, un homme vole au secours d’Emmanuel Macron et nous explique, par la même occasion, ce qu’est une bonne féministe

par Sylvie Tissot
8 mars 2023

« Boycott indigne » : voilà comment a réagi l’éditorialiste Thomas Legrand après la publication du communiqué de l’association fondée par Gisèle Halimi, Choisir – La cause des femmes, suite à l’annonce faite par Emmanuel Macron qu’un hommage lui serait rendu le 8 mars, et ce en pleine mobilisation contre la réforme des retraites.

Bien évidemment, l’association Choisir a refusé d’assister à une « cérémonie précipitée et au rabais », dénonçant, dans une lettre pleine de sobriété et de cohérence politique, une « contre-réforme des retraites, qui pénalise particulièrement les femmes ».

Toute honte bue, Thomas Legrand en remet une couche après ce tweet indigne, dans une chronique intitulée « Gisèle Halimi, la femme qui avait raison » qui, en forme d’hommage, n’est qu’une petite (mais déjà trop longue) leçon sur les féministes et à destination des féministes.

Des féministes à qui, dans ledit tweet, il rétorquait déjà (jeu de mots) : « choisir n’existe donc plus ». Comme si les militantes de Choisir avaient trahi une cause qui, pourtant, est le droit des femmes de choisir, et non le droit d’Emmanuel Macron de choisir quelle femme honorer, et à quel moment opportun. Et alors même que, Thomas Legrand ne semble pas le comprendre, ces femmes manifestent simplement... un choix, celui de ne pas participer à une cérémonie.

Il s’agit bien d’une leçon sur les féministes, puisque le propos est ni plus ni moins qu’expliquer ce qu’est une bonne féministe, à savoir une femme engagée mais pas trop non plus, une femme, pour reprendre ces mots pleins de paternalisme, « radicale mais pas sectaire ». Manière de signifier qu’il ne faut « quand même pas aller trop loin », et qu’en matière de féminisme, il est bon de raison, modération, pondération garder. L’épouvantail de la femme hystérique n’est jamais loin.

Thomas Legrand nous met en garde et vient circonscrire une radicalité qui ne saurait aller jusqu’à définir entre femmes ce que doit être la cause des femmes, en se passant des précieux conseils et des jugements avisés… des hommes !

Misère de l’arrogance masculine qui ne s’exprime jamais si bien que dans le soutien auto-proclamé à un féminisme auquel, finalement, on ne s’intéresse que le temps de faire un tweet énervé contre une association féministe, et un texte de 30 lignes en défense d’Emmanuel Macron. Car pour comprendre ce qu’ont été les combats de Gisèle Halimi et de bien d’autres, il fallait se renseigner un minimum. Juste un minimum, mais qui aurait évité à Thomas Legrand d’écrire que « les questions de dominations patriarcales et masculines » sont propres au « nouveau féminisme » ! Sic. Elles étaient en réalité au cœur des combats et des théories des années 1970 et suivantes.

Aucune importance, l’important était juste de réorienter les femmes vers le « juste milieu » dans lequel il convient de se tenir, entre « nouveau féminisme » et « féminisme universaliste » – opposition grotesque, inepte, qu’aucune féministe (à part peut-être Elisabeth Badinter ou Caroline Fourest) ne reprendrait à son compte – mais qui permet de situer Gisèle Halimi dans une sorte de neutralité prudente, loin de tout « extrême ».

On croit rêver si l’on se souvient à quel point justement les prises de position de Gisèle Halimi sur l’avortement et contre la guerre d’Algérie lui ont valu les pires accusions d’« extrémisme ».

Car le bon féminisme se doit aussi d’être « équilibré », calé sur un « équilibre » soigneusement défini par Thomas Legrand en personne, à qui au demeurant on n’en demande pas tant – un équilibre qui consiste, par exemple, dans le fait d’être à la fois contre ceux qui instrumentalisent la laïcité à des fins racistes et pour l’interdiction du voile et la loi de 2004.

Comme si des milliers de féministes et de collectifs, d’Ecole pour tous et pour toutes à Maman toutes égales, n’avaient pas, justement, pensé les choses autrement.

Les hommages à Gisèle Halimi, décidemment, ne sentent pas très bon. Certains puent même l’injonction à être « reconnaissante », ici au président de la République sur lequel se clôt ce texte pétri d’euphémisations (la réforme des retraites ne « réglerait rien à l’inégalité des sexes devant la retraite », là où il est démontré qu’elle l’aggrave), d’occultations (les « tuyaux élyséens » dans lesquels était cette cérémonie ont été, en réalité, bien longs et traversés de plusieurs années de lâches reculades) et de mauvaise foi (comme s’il y avait une volonté sincère derrière cette nouvelle fumisterie présidentielle).

L’« instrumentalisation politique » est si évidente que, nous rappelle l’association Choisir, « elle ne trompera personne ». Hormis, semble-t-il, Thomas Legrand.