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Cité de laïcité

Pièce en un acte et une scène unique

par Lamia Terir
15 mars 2006

Les élèves entrent. Brouhaha dans la classe. Chacun rejoint sa place, mais
reste debout...

- Le prof :

Bonjour à tous. Vous pouvez vous asseoir. Je m’appelle Jacques Lefèbvre.
Pour cette année scolaire, vous aurez le plaisir ou peut-être la
désillusion de m’avoir comme professeur de français, mais aussi comme
professeur principal. Autant vous dire que les questions de discipline
seront réglées par mes soins. Je vous conseille donc de rester discrets, de
faire preuve d’un travail acharné et de vous respecter les uns les autres.
J’en connais certains qui ont eu la bonne idée de ne pas obtenir leur
baccalauréat en juin dernier. Je suis heureux de constater que mon jugement
relatif à leur débilité profonde est maintenant confirmé.Y’a-t-il des questions ?

(Silence)

Bien.

(S’adressant à une élève au fond de la classe ; elle porte un foulard sur la tête)

Quel est votre
nom, mademoiselle ?

- L’élève :

Samia Guidouchi.

- Le prof :

Mademoiselle Guidouchi, inutile de vous cacher au fond de la classe, on
ne voit que vous.

(La jeune fille baisse la tête.)

J’ai l’habitude des esprits retors, et j’ai aussi pour habitude de les
remettre en place dès le début d’année. Comprenez-vous, mademoiselle
Guidouchi ?

(Silence)

Mademoiselle Guidouchi, vous portez sur la tête le
signe ostensible de votre religion. Nous sommes dans une école laïque, je
vous prie de retirer ce fichu.

(Silence)

Pouvez vous nous répondre, mademoiselle Guidouchi ?

- Samia :

Je ne peux pas.

- Le prof :

Que ne pouvez vous point, mademoiselle Guidouchi ?

- Samia :

Je ne peux pas l’enlever.

- Le prof :

Vous ne pouvez pas ou vous ne voulez pas ?

- Samia :

Je ne peux pas, monsieur.

- Le prof :

Dans ce cas, mademoiselle, moi non plus je ne peux pas non plus vous garder dans
cette classe. Je vous prie donc de ramasser votre sac et de vous diriger
vers le bureau du proviseur.

- Un élève :

Monsieur, c’est dégueulasse !

- Le prof :

Quoi ? Qu’est ce qui est dégueulasse ? Qui parle ?

- L’élève :

C’est moi.

- Le prof :

Qui est-ce moi ?

- L’élève :

Raoul Dacosta.

- Le prof :

Dacosta, Dacosta... Il me semble avoir déjà entendu parler de vous.
Dacosta, ce nom me dit quelques chose...

(Il réfléchit)

Il me semble même
avoir lu quelque chose à votre propos dans le journal. A la rubrique des
faits divers sordides, certainement ! Allons monsieur Dacosta,
rafraîchissez-nous la mémoire, de quel méfait avez-vous donc été l’auteur ?

- Raoul :

J’ai gagné la médaille d’or du championnat régional de judo.

- Le prof :

Tss... championnat.... Ne faîtes pas le malin Monsieur Dacosta, j’en ai
maté de plus rusés que vous !

- Samia :

Je voudrais rester en classe, monsieur.

- Le prof :

Soit. Dans ce cas, enlevez votre voile.

- Samia :

Ce n’est pas un voile, monsieur, c’est juste un foulard qui protège ma
tête.

- Le prof :

C’est la laïcité et la république qui protègent votre tête !

- Une élève :

Oui, mais elles ne protègent pas des courants d’air !

(Rires dans la
classe)

- Le prof :

Je vois que vous le prenez tous sur le ton de la plaisanterie. Effectivement,
l’effondrement de nos valeurs est d’une risibilité sans commune mesure ! Je
suis mort de rire, comme vous dîtes entre vous. Remarquez, je préfère ça,
que mourir sous le feu des croisés.

- Une élève :

Je ne sais pas si la république tolère ce genre de propos, monsieur.

- Le prof :

La république française appartient aux français, mademoiselle ! Libre à
nous d’en changer les règles, mais nous n’avons pas à nous justifier devant les groupes de pression pressions
communautaristes !

- L’élève :

Je suis française, monsieur.

- Le prof :

Tiens donc ? Quel est votre nom ?

- L’élève :

Fatima Chedani.

- Le prof :

Très bien. Remerciez pour cela les valeurs et le sol français, mademoiselle
Chedani.

- Fatima :

Je n’ai pas à remercier quiconque de ce que je suis, monsieur ; à part
Dieu.

- Le prof :

Allons bon, voilà maintenant le discours islamo-intégriste ! Vous ne portez pas de
foulard, vous ?

- Fatima :

Non monsieur, je ne le porte pas. Nous sommes dans un pays libre.

- Le prof :

Je suis heureux de vous l’entendre dire ! Nous sommes libres de ne pas
vouloir que s’agitent au fond de nos classes ces fichus revendicatifs et
prosélytes.
Nous devons protéger cette liberté !

- Fatima :

Trop de liberté tue la liberté, monsieur.

- Le prof :

Et qu’entendez-vous par-là, mademoiselle Chedani ?

- Fatima :

Je veux dire que sous prétexte de protéger votre liberté de ne pas voir
Samia Guidouchi avec son foulard, vous la privez de sa liberté de le
porter.

- Le prof :

Mais la liberté, c’est une valeur commune à tout le monde, mademoiselle. La
liberté, c’est le libre arbitre. La liberté, c’est le contraire de la
soumission, et justement, le foulard de mademoiselle Guidouchi représente la soumission
 !

- Fatima :

Oui, mais la soumission à Dieu, c’est peut-être pour elle le chemin de la
liberté, monsieur.

- Le prof :

Ah bon ! Eh bien non, c’est aux lois de la république que vous devez vous soumettre. La
république ne laisse pas de place aux petites cuisines de chacun. Les
valeurs de la république sont communes à tous. La république
fait appel au libre arbitre, et le libre arbitre vous impose de retirer ce
foulard !

- Samia :

Je respecte les lois de la république, monsieur.

- Le prof :

Prouvez le mademoiselle Guidouchi, enlevez ce foulard.

- Samia :

Permettez-moi de le garder, monsieur.

- Le prof :

C’est la république qui ne le permet pas, mademoiselle ! Si, comme vous
Le prétendez, vous respectez la république, vous devez l’enlever.

- Samia :

Je ne veux pas être privée des cours, monsieur.

- Le prof :

Mademoiselle, est ce que vous comprenez que je cherche à protéger votre
liberté ?

- Fatima :

Elle ne vous en demande peut-être pas tant, monsieur.

- Le prof :

Est-ce qu’on demande à quelqu’un qui se noie la permission de le sauver ?

- Samia :

Je ne suis pas en train de me noyer, monsieur.

- Le prof :

Si ! Vous ne vous en rendez même pas compte ! La main que je vous
tends est salvatrice, mademoiselle. En vous demandant de retirer ce
foulard, je vous sauve de vous-même. N’avez vous pas envie de vous promener
cheveux au vent ?

- Fatima :

On peut avoir peur de la tempête, monsieur.

- Le prof :

La science vous permettra d’apprivoiser vos peurs des cyclones et des
tempêtes. La science balaiera d’un trait toutes vos superstitions. C’est
sur la science, l’éducation et le progrès que vous devez parier. Il est là,
l’avenir de l’homme. Cessez donc de croire à toutes ces idéologies
archaïques et fumeuses.

- Samia :

Monsieur, je n’ai pas d’idéologie. Je voudrais simplement rester en classe
avec mon foulard, parce que j’ai froid aux oreilles.

- Le prof :

La république a des radiateurs, et la laïcité vous chauffera les oreilles.

- Samia :

Permettez-moi de garder mon foulard aujourd’hui, demain je viendrais avec
une perruque.

- Le prof :

Une perruque ? Et pourquoi pas un bouc et des lunettes noires pendant que
vous y êtes ?

- Samia :

Je suis obligée de cacher ma tête, monsieur.

- Le prof :

Obligée par qui ? Vous contrevenez à la loi du 15 mars 2004, qui ne tolère
aucun signe religieux au sein de l’école.

- Un élève :

Monsieur, je suis circoncis, y’a t-il une partie de mon anatomie que je ne
dois pas apporter en classe, au risque de contrevenir à cette loi ?

(Rires
dans la classe)

- Le prof :

Sortez monsieur Kamal ! Je sens que votre redoublement n’apportera rien. Le
baccalauréat pour des gens comme vous, c’est de la confiture
aux cochons.

(Kamal sort. Silence. Tous le regardent. Le prof s’adresse à Samia)

Mademoiselle, vous
perturbez le cours et votre camarade vient d’être exclu du
fait de votre insoumission.

- Fatima :

Vous disiez tout à l’heure, monsieur, que la liberté était le contraire de
la soumission.

- Le prof :

Cessez de jouer à ce petit jeu avec moi, mademoiselle Chedani ! Samia
Guidouchi, pour la dernière fois, soit vous enlevez ce foulard, soit vous
allez voir monsieur le proviseur.

- Samia : (Elle éclate en sanglots)

Je ne peux pas, monsieur.

- Le prof :

Vous n’allez pas vous mettre à pleurer, maintenant ! Je vous demande
simplement d’enlever votre foulard. Personne ne vous en voudra si votre
brushing n’est pas soigné !

- Samia :

S’il vous plaît, laissez moi le garder.

- Le prof :

Je vous répète que ce n’est pas moi qui ne le permets pas, c’est la
république !

- Samia :

S’il vous plaît !

- Le prof :

Allons allons, soyez donc un peu plus courageuse que vos opinions. Montrez
que vous n’avez pas peur d’enlever ce carré de tissu qui nuit à votre liberté.

- Samia :

Je vous en prie !

- Fatima :

C’est dégueulasse ce que vous lui faîtes, monsieur !

- Le prof :

Je vous demande de vous taire, mademoiselle !

(A Samia)

Allez, il faut
conclure. Vous l’enlevez oui ou non ?

(Samia est effondrée, elle fait signe
que oui).

Et bien voilà, nous sommes sur le chemin du progrès... Nous
attendons, mademoiselle Guidouchi...

(Samia pleure et s’exécute. Elle dénoue
son foulard et découvre une tête chauve).

Et bien, que vous arrive t-il,
mademoiselle Guidouchi ?

- Samia : (En pleurs)

Je n’ai pas de cheveux.

- Le prof :

Je vois bien que vous n’avez pas de cheveux mais, est-ce encore une raison
pour ne pas les montrer ?

- Samia :

C’est le cancer.

- Le prof :

Effectivement, certains appellent cela comme ça. Je vous ai dit que la
laïcité vous guérira de ce cancer. Mais que vous est-il arrivé ? On
vous a rasé le crâne ?

(Samia ne répond pas, elle est effondrée)

Je connaissais la lapidation mais
je ne savais pas que certaines d’entre vous se voyaient raser le crâne !

- Fatima :

Elle vous dit qu’elle est malade, monsieur. Elle a un cancer. Elle fait de
la chimio, c’est pour ça qu’elle n’a pas de cheveux.

- Le prof :

Mais il fallait le dire, mademoiselle. La laïcité permet tout de même
d’être malade. Cependant, il est inutile d’infliger à vos camarades le
spectacle de votre misère. Remettez donc votre foulard et retournez à votre
place... Très bien... Maintenant que le débat est clos, il me semble utile
de revoir quelques notions essentielles : la démocratie et la
république. Nous allons redéfinir ensemble les termes de liberté, d’égalité
et de fraternité. Je crois que c’est une mise au point qui fera du bien à
tout le monde.

(S’adressant à un élève du premier rang).

Faîtes entrer
Monsieur Kamal, qu’il profite aussi de cet enseignement salutaire.

Fin