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Dominique Strauss-Kahn n’est pas un « séducteur »

Quelques remarques sur le traitement médiatique du harcèlement sexuel en France

par Collectif Les mots sont importants
16 mai 2011

En 2008, réagissant à un article de Libération, nous pointions déjà le traitement médiatique plus que partial d’une autre affaire impliquant Dominique Strauss-Kahn, mais déjà liée à des accusions de violence et de harcèlement sexuel. Sans se prononcer sur celle qui vient de surgir, nous republions ce texte pour souligner la similitude du vocabulaire utilisé aujourd’hui pour parler d’un homme dont les torts seraient simplement d’être un « séducteur », un « homme à femmes », un « coureur de jupons ». Sans jamais s’interroger sur la violence possiblement subie par des femmes dont une grande partie ne sont sans doute pas « séduites » par cet homme. Préoccupé avant tout par l’élimination plus que probable de son candidat favori, Libération use même d’un magnifique euphémisme, digne de l’affaire Polanski : un « immense gâchis ». Peut-être pas un gâchis pour tout le monde s’il pouvait contribuer à fissurer la chape de plomb qui règne en France sur la question de la violence, du harcèlement sexuel, et plus largement du sexisme (autre que banlieusard et « arabo-musulman »).

À chaque fois qu’une affaire d’abus de pouvoir masculin arrive à traverser la censure des médias, on peut entendre ce discours enchanté sur la France.Encore une « exception française » dans ce pays de la séduction et du libertinage, les violences faites aux femmes n’existeraient pas, ou si peu (sauf chez les arabes et les jeunes de banlieues). C’était le cas il y a plusieurs années quand une étudiante en thèse avait tenté (en vain) de porter plainte contre son directeur de thèse pour harcèlement sexuel. Que n’a-t-on pas entendu (déjà dans Libération) sur la judiciarisation des relations sociales, la police des mœurs, l’américanisation de la société, et autres épouvantails, qui ont efficacement fait oublier les corvées sexuelles auxquelles sont régulièrement soumises certaines étudiantes ou employées dans le monde du travail.

Ce sont les mêmes arguments qui ont été avancés lors de la récente affaire impliquant Dominique Strauss-Kahn, galant homme et homme à femmes, séducteur invétéré, coureur... de jupons justement !, égaré au pays des corsets et du politiquement correct. Il aurait – récompense pour services rendus ? manière de réduire au silence une éventuelle insoumission ? – fait verser par son institution des émoluments généreux à sa maîtresse.
On se souvient qu’avant sa nomination au FMI, des réactions indignées avaient accueilli le seul article, paru sur le site Rue89, qui avait osé évoquer les formes de drague très insistantes dont le membre du parti socialiste était coutumier.

La presse et la classe politique font bloc, comme un seul homme si on peut dire, autour de DSK : même minimisation des faits (une affaire de « jupons », franchement...), même opposition entre la France de la liberté sexuelle et l’Amérique puritaine, et mêmes contre-feux : l’article de Libération (centré autour de la question de savoir, on croit rêver, si la carrière de DSK est mise en péril par cette affaire !) se termine en évoquant les critiques suscitées au sein du FMI par l’enquête menée contre le Français.

Une « chasse à l’homme » contre DSK !

« Des arrière-cuisines du FMI [qui] ne sont pas reluisantes », conclut la journaliste. Tandis qu’on fait remarquer, à grand renfort d’anti-américanisme et clins d’oeil entendus, que notre Asterix DSK, « sur la sellette », n’a quand même pas de compte à rendre aux électeurs américains ! Depuis quelques jours, enfin, c’est le grand classique de la « campagne de déstabilisation » [1], et sous la plume de Daniel Schneidermann, qui parle de « chasse à l’homme », Dominique Strauss-Kahn est définitivement devenu une victime.

La question des inégalités hommes/femmes et des innombrables manières dont elle se traduit (y compris dans la sphère privée) est, en France, encore très largement niée. Arrêtez de tout sociologiser : c’est l’AMOUUUR, on vous dit !!! Quand elle n’est pas brutalement niée, elle est, c’est un autre classique, reléguée au second rang des préoccupations. Les esprits supposément contestataires ne sont d’ailleurs pas en reste, et pas forcément moins franchouillards en la matière. On entend déjà certains estimer peu opportun de s’intéresser à des « frasques sexuelles » alors qu’il y a bien mieux à faire à dénoncer le ralliement aux dogmes néo-libéraux ou encore les positions sionistes de Dominique Strauss-Kahn.

Et bien non. Il faut revendiquer le droit de s’intéresser aux « frasques sexuelles ». Non pas pour plonger dans le détail des ébats de Dominique Strauss-Kahn (perspective pas vraiment excitante, il faut bien l’avouer), mais pour que les nôtres soient, dans un pays qu’on voudrait moins aveugle à la réalité du sexisme, enfin joyeuses, intenses, multiples et... égalitaires !

Notes

[1Un article paru dans Libération le 22 octobre dénonce le “petit air de campagne déstabilisante”.