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Plus que du hip hop !

Rencontre avec Dead Prez

par Noëlle Dupuy
21 décembre 2009

De retour de Zurich et de Londres et avant de repartir en tournée aux Etats-Unis où ils préparent également la sortie de leur nouvel album "Information Age" prévue pour 2010, les dead prez étaient en concert à Paris pour une date unique à la Bellevilloise. Ils n’ont rien perdu depuis "Let’s Get free" paru en 1999, un album bourré de qualités, au contenu politique explicite et aussi radical que ceux dont M-1 et Stic tirent leur inspiration : Marcus Garvey, Malcolm X et surtout les Black Panthers et Huey P. Newton. Depuis, il y a eu "RBG : Revolutionary But Gangsta" en 2004 et les trois volumes des street albums "Turn Off The Radio". Rencontre avec un groupe résolument engagé qui gagnerait certainement à être plus connu en France.

Ces deux hommes-là, Stic man et M-1, se respectent et forcent le respect en retour. Pas de grands airs, surtout pas de bling-bling. Ils sont convaincus par ce qu’ils font et ce qu’ils ont à faire. Et sont convaincants comme leur rap qui est documenté et parle du vécu de ceux qui triment, vivent dans les quartiers, résistent à la désinformation. Chacun s’exprimera à son tour et en son nom et pourtant ils forment clairement un duo en harmonie, autant sur scène que lorsqu’ils répondent aux questions des journalistes.

Ils sont anti-capitalistes, anti-impérialistes, le disent fermement en guise de présentation et rappellent qu’il est toujours aussi nécessaire de l’être aujourd’hui que ça l’était hier. S’ils donnent toujours de la voix, c’est pour se faire encore entendre, parler en leur nom et au nom de leur communauté, de "ceux qu’ils représentent". Et c’est clair : il ne s’agit pas de la classe moyenne blanche étasunienne mais de ceux qu’on opprime encore, qu’on emprisonne, qu’on parque dans des ghettos, qu’on diabolise, qu’on exploite, qu’on discrimine et qu’on colonise. Pour eux, pas question de leur faire le coup à l’envers.

Quand on leur demande s’ils pensent qu’avec Obama, il s’agit d’une nouvelle donne qui va faire reculer le racisme, M-1 ne peut que réciter le début de leur morceau "PolitriKKKs" sorti en single le jour même de l’élection. Le titre est un jeu de mot inspiré de l’expression "politricks" de Malcom X, mais aggravé du triple K (initiales du Ku Klux Klan – NdlR), pour moquer la politique blanche et raciste de l’establishment. Celle-là même qui demandait alors, à ceux qui luttaient pour leurs droits dans les années soixante, d’attendre encore "que la société soit prête", de faire "preuve de patience", de se "contenter des miettes" alors qu’ils voulaient légitimement une part équitable du gâteau.

L’élection du 44e président des USA, Barack Obama, n’a rien changé : en Afghanistan, au Pakistan, en Irak, en Palestine, au Vénezuela, à travers l’Afrique et l’Amérique Latine, la politique américaine reste impérialiste et violente. Les populations ne voient pas grand-chose de nouveau que la guerre voulue par le Pentagone et l’exploitation de leurs richesses (naturelles, humaines…) par les grandes multinationales américaines toujours omniprésentes et puissantes. L’immense richesse actuelle des Etats-Unis, c’est aux peuples qu’ils ont colonisés et exploités qu’ils la doivent. Mais de réparations financière et morale pour toutes les souffrances et pillages endurés aux quatre coins du monde et orchestrés par des régimes fascistes soutenus par les USA, on ne parle toujours et surtout pas.

Les dead prez réfutent d’ailleurs l’idée selon laquelle nous serions entrés, depuis 2008, dans une ère post-raciste. C’est peut-être même le contraire, car il est même devenu plus dur de dénoncer le racisme américain. À présent, la réplique consiste à invoquer le fait que si les USA ont un président noir, c’est bien que la société n’est pas raciste… Pourtant, selon Stic, il s’agit bien du même système, il a seulement changé de visage. Et si le MC comprend l’espoir légitime qu’a pu susciter la présence de ce nouveau visage, celui d’un "gars bien", aux dernières élections, il aurait préféré qu’on garde la tête froide et qu’on "sépare l’émotion des faits".

Et qu’on scrute bien les actes et les programmes : la levée de fonds pour la campagne a atteint des sommets indécents, les dépenses pour la construction de nouvelles prisons (souvent gérées par des sociétés privées utilisant la main d’œuvre carcérale pour fabriquer le "made in USA" à prix chinois - NdlR) restent faramineuses et ce sont toujours les mêmes qu’on incarcère, les mêmes qu’on laisse dans la rue, les mêmes qu’on stigmatise. Et le fameux plan de relance économique ?

Un morceau, "Stimulus Plan", lui est consacré dans "Pulse of the People", le troisième volume de "Turn Off The Radio". "Il ne suffit pas de nommer des hommes ou femmes politiques noirs, des flics noirs, des profs noirs, s’insurge M-1. Il faut voir quelles politiques on mène, contre qui on commet encore des violences policières qui restent impunies, quels systèmes éducatifs on soutient, où va l’argent. Obama, on lui reconnaîtra ce qu’il fera de bien, mais il devra rendre des comptes pour toutes les promesses qu’il ne tiendra pas."

C’est pourquoi les dead prez se revendiquent et s’auto définissent "africains" et non "africains- américains" comme le précise M-1. "On n’est pas américains si on n’a pas eu le choix de vouloir y venir et de le devenir. Si vous partez pour améliorer vos conditions de vie ou pour l’aventure, c’est pas pareil. Nos pères, mères, sœurs et frères sont venus contraints et forcés, ont été achetés et revendus et on en paie encore le prix".

Pas de malentendu pour autant, car ils ne prétendent pas "lutter contre le racisme en faisant évoluer les mentalités". "Nous, c’est simple précise Stic. On traite les autres comme des êtres humains et on s’attend à être traités pareillement en retour. Mais force est de constater que ce n’est pas le cas. Alors les mentalités sont de la responsabilité de chacun. Je ne peux pas changer ce que tu penses de moi, c’est vain. Ce qui compte, c’est l’auto détermination, notre indépendance, qu’on reprenne le pouvoir sur nos vies, qu’on ait le contrôle de nos destins, qu’on fasse la musique qui nous plaît, qu’on puisse dire ce qu’on a à dire."

S’ils se sont réappropriés leurs propres moyens de production c’est bien littéralement et, en l’occurrence pour le groupe, cela signifie qu’ils composent eux-mêmes leurs morceaux, peuvent produire leur propre musique (lâchés par Sony après "RBG", ils travaillent maintenant avec DJ Green Lantern et son label indépendant Invasion Music Group), la diffuser et vivre en accord avec eux-mêmes et avec les leurs. Cela, ils le doivent aussi à la technologie, qui a inspiré le contenu de leur dernier album et leur a permis de trouver de nouveaux sons, le single "PolitriKKKs" en est la preuve. ""Let’s Get Free", c’était il y a dix ans, confirme M-1.

Aujourd’hui, on est en 2009, on est passé à autre chose, on veut parler de ce qui se passe ici et maintenant, de l’information, de la télé, de la radio, de ce qu’on nous raconte et de comment on résiste aujourd’hui. Et ce que nous permet de faire la technologie, c’est phénoménal."

Et Stic de conclure : "On ne court pas après la richesse ou le succès. Notre richesse on la puise dans tout ce qu’on fait et on apprend encore beaucoup de choses. Moi, je dis qu’on ne sera vraiment riche que quand on sera riche de tous nos talents." Respect !

P.-S.

Interview et texte : Noëlle Dupuy

Discographie

2010 : "Information Age" (À paraître)
2009 : "Pulse Of The People : Turn Off The Radio Vol. 3" (Invasion Music Group)
2004 : "Revolutionary But Gangsta" (Sony)

2003 : "Turn Off The Radio. The Mixtape Vol. 2" (Full Clip)

2002 : "Turn Off The Radio. The Mixtape Vol. 1" (Full Clip)

2000 : "Let’s Get Free" (Loud/Sony) qui inclut le titre "Bigger than Hip Hop".