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Un « commissaire à la diversité et à l’égalité des chances » : Tiens donc !

À propos d’une subtile confiscation du thème des discriminations

par ALDA
16 octobre 2009

M. Sarkozy a mis en place, en décembre 2008, un « commissariat à la diversité et à l’égalité des chances ». Il a nommé à ce poste un certain Yazid Sabeg. Mais qui est-il ?

« Industriel d’origine kabyle », précise d’emblée Le Figaro ; et d’autres de rajouter : « musulman et franc-maçon, aîné d’une famille algérienne émigrée à Lille dans les années 1950 » … Comme quoi, le mot d’ordre de la grande ethnicisation d’Etat est lancé ! Comme d’habitude, dans cette politique gouvernementale, on nomme les gens à leur tête… mais pas seulement.

Sous l’étiquette de la diversité…

Précisons d’emblée qu’en regardant de plus près cette affaire de « diversité », il n’est pas question de crier avec les républicanistes en agitant le chiffon rouge des « statistiques ethniques » - grande tarte à la crème empêchant le plus souvent le débat public sur la reconnaissance des discriminations. Il s’agit par contre de déchiffrer un message codé qui se coule dans les logiques du « bon sens » pour imposer une lecture néolibérale et élitiste.

Il s’agit d’une confiscation subtile, car elle se réapproprie le discours sur les discriminations et tente de monopoliser celui sur « une égalité qui ne serait pas uniquement formelle, mais réelle » . Ce discours d’appropriation de valeurs générales, c’est en effet l’enjeu du « Manifeste pour l’égalité réelle », publié par le même dans le Journal du dimanche en novembre 2008 (suite à l’élection présidentielle américaine) et qui se place sous le signe de « l’égalité et la justice » , rien de moins !

Mais que vend-on sous cette étiquette ? Comme le sait tout bon consommateur, il vaut mieux lire par deux fois l’étiquette entre les lignes, seul moyen de ne pas se faire duper par les « photos non contractuelles » et autres arguments du type « vu à la télé »… Qu’est-ce donc que la « diversité » ?

La notion est polysémique, et c’est bien là, manifestement, l’un de ses intérêts politiques. Elle se veut être un synonyme d’une société multiculturelle sans utiliser ce nom connoté « de gauche » ou « états-unien ». Ce en quoi le mot veut représenter la société selon une image qui n’est pas uniquement celle du Majoritaire.

Soit. Mais elle la montre sur la base d’une représentation des différences censées être la propriété de certains groupes. Elle repose donc sur une rigidification et une essentielisation des différences. Ainsi, l’affirmation « être issu de la diversité n’est pas un label » est intrinsèquement paradoxale. Car, comme l’indique l’expression « issu de… », la diversité, c’est toujours l’Autre ! Le mot n’est donc pas neutre, ni strict équivalent d’autres notions telles que celle de « pluralité ».

L’égalité des chances, une inspiration pétainiste

Cette notion est un véhicule de camouflage, qui, sous couvert d’image positive et rassembleuse, substitue à l’idée d’égalité celle « d’équité et de diversité ». C’est en fait simplement une façon politiquement correcte de nommer « l’égalité des chances ». Yazid Sabeg affirme en effet qu’« il est faux de penser qu’on pourra résoudre [les écarts] en redistribuant simplement après coup - et d’ailleurs assez mal - les richesses produites : il faut corriger les inégalités à la racine ». Ce qui veut dire : une « politique de promotion de l’égalité des chances ».

Soit, une action en amont de la compétition, pour mettre sur une même ligne de départ les compétiteurs qui seront finalement départagés selon « le mérite » par la sélectivité de la concurrence. Or, d’où vient l’idée d’égalité des chances ? Elle trouve son origine dans le projet pétainiste. Le maréchal Pétain affirmait en effet, en 1940 : « Le régime nouveau sera une hiérarchie sociale. Il ne reposera plus sur l’idée fausse de l’égalité naturelle des hommes, mais sur l’idée nécessaire de l’égalité des chances données à tous les Français de prouver leur aptitude à servir (...). Ainsi renaîtront les élites véritables que le régime passé a mis des années à détruire ».

Couplée à la diversité dans le langage actuel, la notion d’égalité des chances ne suit pas entièrement, bien entendu, le programme pétainiste. Mais elle permet de substituer à l’égalité politique une logique de la compétition sélective au mérite et une justification des hiérarchies sociales. Au cœur de ce discours, il y a en fait l’entreprise comme modèle de société, et la concurrence comme modèle de régulation sociale.

Il faut, dit en effet Yazid Sabeg, « nous affranchir du droit commun et mettre en place des mesures d’exception. Nous devons aussi créer les conditions d’une nouvelle relation entre les jeunes et l’entreprise, à l’occasion d’un véritable pacte donnant-donnant pour l’emploi » . Voilà le fin mot de l’histoire : donner à croire que la relation entre employeur et salarié peut être « égale » et équilibrée (« donnant-donnant »). Rien d’étonnant, car ledit « Commissaire à la diversité » est au carrefour d’une nébuleuse de « think tank » (lobbys) néolibéraux : Institut Montaigne, IMS-Entreprendre, Equality Lab,… qui diffusent des recettes magiques telles que le « CV anonyme », la « Charte de la diversité », ou encore des guides du recrutement soutenus par Laurence Parisot (patronne du MEDEF).

Un des axes clé du combat patronal, sous ce thème, est, logiquement, en direction de l’école. D’où l’offensive visant par exemple à agir sur la mise en place de formations sélectives sur certains métiers en demande (les « 20 emplois de demain » ). L’enjeu est d’investir l’école pour imposer en amont du marché du travail les normes de l’entreprise : « Les jeunes doivent s’intégrer dans le monde du travail progressivement, avant même leur sortie du système scolaire » , explique notre « Commissaire à la diversité ».

La diversité contre l’égalité et le droit

Le discours sur la diversité substitue donc à l’égalité une libérale équité, et propose, on l’a compris d’enterrer le droit comme norme commune (« nous affrachir du droit commun »). Si le droit est invoqué, c’est comme outil de légitimation du pouvoir (en proposant de définir par le droit les limites de la « diversité »). Significative est ainsi la rhétorique opposant la « diversité » à « l’égalitarisme » et à « une République de juristes » . Traduction : ne pas utiliser le droit comme norme limitant la puissance des puissants et comme référent pour affirmer l’égalité ; et dénier à la Justice le rôle de dire les limites à l’action de chacun.

La logique n’est donc pas du tout d’agir contre les discriminations (en tant que pratiques interdites), mais juste d’« engager des politiques publiques qui combattent les conséquences sociales des discriminations. » En s’attaquant aux conséquences mais non aux logiques et aux pratiques qui les sous-tendent, on peut donc vendre, sous l’égide du « volontarisme », des méthodes qui ciblent, une fois encore, le public discriminé comme responsable de la sortie de sa situation.

Dédouanés d’une interrogation sur les pratiques, l’action publique comme privée peut ainsi se résumer à accentuer une sélectivité élististe. Y Sabeg propose en effet de « Systématiser les politiques volontaristes de réussite éducative et la promotion des talents dans les quartiers populaires. Promouvoir des politiques urbaines qui permettent de réaliser la diversité sociale et de peuplement. »

Il n’est qu’à voir que le thème, promu par la Droite néolibérale, est aujourd’hui repris à son compte par l’Etat pour voir qu’on est bien loin d’une politique de lutte contre la discrimination. Laquelle prend comme angle d’approche l’égalité de traitement fondée sur le droit (commun), et la conformation des pratiques à l’interdiction de discriminer.

P.-S.

Cet article est paru dans le numéro 4 du Porte-Voix, journal de l’ ALDA, Association de lutte contre les discriminations, Alsace.