J’ai rencontré Saïd Bouamama, après l’avoir lu, en 2003. Puis en 2005, après l’avoir écouté, Saïd dit "Saïdou" du Ministère des affaires populaires puis de la Zone d’expression populaire, et depuis nous nous sommes souvent retrouvés côte à côte dans les mêmes combats, notamment antiracistes. J’ai pu apprécier en eux d’infatigables et généreux combattants de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, tout simplement. Bref, dans des termes qui ne sont pas leurs mots habituels ni les miens : d’authentiques défenseurs de "notre devise nationale" !
Ce que moi, aussi bien qu’eux je crois, refusons dans une formule comme "notre devise nationale", ce ne sont pas les trois termes de ladite devise mais bien l’épithète "nationale" et plus encore ce petit mot redoutable : "notre", qui généralise, amalgame, nationalise, et parfois racialise, le souci de la liberté, de l’égalité, de la fraternité. Car aucun peuple, aucune nation, aucun groupe humain n’en a le monopole, et par ailleurs chaque peuple, chaque nation, chaque groupe humain est traversé de disparités et de contradictions, notamment entre ces principes éthiques, avec toutes les actions humaines admirables qu’ils inspirent, et leur contraire, avec toutes les oppressions qui les accompagnent.
"La France" ne fait pas exception, et j’ai moi même participé aux photos du livre Nique la France. Devoir d’insolence, aujourd’hui incriminé, qui ne souffrait pour ma part d’aucune ambiguité : ce n’était pas "les Français", en tant que peuple supposé homogène et inférieur, qui étaient visés par l’insolente formule, mais bien un fétiche, une idole, "la France", dont les méfaits (ceux du nationalisme, du francocentrisme et de la "préférence nationale", du service de l’Etat placé au dessus de toute autre considération...) sont innombrables – de la colonisation, avec sa "mission civilisatrice", à la collaboration avec le régime nazi, en passant par la plus ordinaire indifférence au sort des étrangers, en dehors ou à l’intérieur de nos frontières.
Cela, quiconque connait les écrits et les engagements de Said Bouamama, et sur un autre registre (musical) de Saïdou, le comprend aisément. Et quand bien même on ne connaîtrait pas leurs oeuvres, il suffit de se concentrer sur les paroles de la chanson intitulée Nique la France, et de lire les textes du livre homonyme, pour le saisir. C’est pourquoi je dois confesser une grande lassitude, une grande fatigue, un grand découragement parfois, une grande colère souvent, de voir traînés devant les tribunaux par l’AGRIF, sous un chef d’inculpation ayant trait au racisme, un sociologue et un artiste qui comptent parmi les combattants les plus admirables et les plus conséquents, dans leurs professions, de la lutte contre tous les racismes. Des gens qui n’ont jamais compté leur temps pour soutenir cette cause. Je trouverais cela comique, une telle inversion du réel, si ce n’était pour eux usant, coûteux, offensant.
J’ai par ailleurs, comme Saïd Bouamama, et bien d’autres comme João Gabriel, produit des argumentaires qui soulignent le caractère spécieux, et extrêmement pernicieux, du concept de racisme antifrançais ou antiblanc. Il n’y a enfin pas de délit de blasphème en France, et l’idolâtrie nationale ne doit pas faire exception. Mais ce n’est pas l’essentiel de mon propos ici : il s’agit de témoigner de mon respect, mon admiration, pour deux personnes qui contribuent, contrairement aux intégristes de la francophilie, à rendre ce pays où je suis né et où je vis, "la France" justement, un peu plus juste, un peu plus humain, un peu plus vivable.