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Elisabeth Roudinesco, entre reniement et diffamation

par Pierre Tevanian, Sylvie Tissot
23 septembre 2003

Dans un livre d’entretiens avec Jacques Derrida publié il y a deux ans, Elisabeth Roudinesco tentait d’expliquer pourquoi elle avait cessé de soutenir la cause des sans-papiers une fois ses amis du Parti Socialiste arrivés au pouvoir.

L’argument avancé par cette dame était le suivant : la cause des sans-papiers est instrumentalisée par "l’ultra-gauche", et des propos outranciers sont tenus par certains soutiens des sans-papiers ; on ne saurait cautionner pareille chose.

Jusque là, rien de bien méchant : nous avons à faire à une figure très simple de la mauvaise foi, qui se réfute en deux phrases :

 premièrement, si instrumentalisation il y a, a-t-elle vraiment commencé avec l’arrivée de la gauche au pouvoir ? Des groupes politiques (d’extrême-gauche, mais aussi, tout bêtement de gauche ou de centre-gauche...) n’ont-ils pas apporté un soutien intéressé aux sans-papiers avant 1997 ?

 deuxièmemement, en quoi le fait que certains soutiens des sans-papiers tiennent un discours outrancier ou dangereux empêche-t-il d’autres soutiens, ceux qui, comme Madame Roudinesco, sont tellement honnêtes et rigoureux, de rester fidèles aux sans-papiers après l’arrivée aux affaires du Parti socialiste ?

Tout cela n’est pas très passionnant, et si beaucoup de sans-papiers ont souffert du passage de la gauche aux affaires, la perte du soutien de Madame Roudinesco n’a en revanche pas été un événement très marquant. En réalité, c’est un motif très égoïste qui nous a poussé à nous pencher sur les pensées de cette éminente historienne de la psychanalyse : car cette "ultra-gauche" qui a éloigné Madame Roudinesco des sans-papiers, c’est nous !

En effet, Elisabeth Roudinesco nous cite comme exemple d’ "intellectuels proches de l’ultra-gauche" et nous diffame en affirmant que nous avons

 produit de fausses citations

 accusé nos adversaires politiques d’être des partisans de la "Solution finale".

Les deux accusations sont évidemment fausses, comme le montre le courier reproduit ci-dessous. Il s’agit d’une lettre que nous avons adressée à Jacques Derrida et Elisabeth Roudinesco au début de l’année 2002 - et qui est restée sans réponse.

Madame, Monsieur,

Dans le livre d’entretiens que vous avez récemment publié, nous avons eu la mauvaise surprise de voir notre livre Mots à Maux, Dictionnaire de la lepénisation des esprits, présenté par Mme Roudinesco comme un pamphlet malhonnête et extravagant. Si d’ailleurs les choses avaient été formulées en ces termes, nous en aurions été attristés, mais nous n’aurions pas eu le droit de vous contester le droit d’émettre un jugement, quand bien même il nous paraîtrait injuste. Ce qui est plus grave, c’est que ce qui est dit de nous dans votre livre est diffamatoire. Nous apparaissons pour ce que nous ne sommes pas - et pour ce à quoi à aucun prix nous ne voudrions ressembler : des menteurs et des imprécateurs, prêts à tout (y compris banaliser la Shoah) pour disqualifier leurs adversaires.

Il se trouve que cette présentation ne correspond en rien au contenu de notre livre. Nous souhaiterions, pour cette raison, vous rencontrer, afin de vous faire part de nos griefs, et de trouver avec vous les moyens de les réparer.

Voici ces griefs, en quelques mots.

Mme Roudinesco renvoie (en note) à notre livre lorsqu’elle évoque des "intellectuels proches de l’ultra-gauche" qui auraient "comparé Patrick Weil à un partisan de la Solution finale", en lui "faisant tenir des propos qu’il n’a pas tenus".

Nous ne comprenons pas l’accusation qui nous est faite de faire tenir à Patrick Weil des propos qu’il n’a jamais tenus. Le seul propos que nous lui faisons tenir dans le passage en question est le suivant : "tout vaut mieux que le développement des migrations illégales". Cette formule est extraite d’un article publié par Patrick Weil dans la revue Esprit. C’est aisément vérifiable, et à notre connaissance, il n’a jamais contesté avoir écrit cela.

Mais surtout, à aucun moment nous ne comparons Patrick Weil à un partisan de la solution finale. La phrase qu’Elisabeth Roudinesco cite en note dit tout autre chose, et les phrases qui la précèdent et qui lui succèdent (et que Madame Roudinesco ne cite pas) lèvent toute ambiguité. Voici le passage en question :

"Plusieurs élus de la droite dite républicaine, comme Michel Poniatowski, Serge Dassault ou Jean-Marie André, ont ainsi poussé le discours sur "l’invasion" et l’"identité en péril" jusqu’à ce point où ils disent ne plus vouloir "un seul immigré de plus". En banalisant ainsi l’idée que tout vaut mieux que la présence d’un étranger, ces élus habituent les esprits aux solutions radicales d’aujourd’hui, et les préparent aux éventuelles solutions de demain, encore plus radicales. On ne peut s’empêcher, derrière des formules comme "immigration zéro" ou "plus un seul immigré de plus", ou même derrière les mots du politologue socialiste Patrick Weil, de penser à une autre formule : "solution finale".
Il ne s’agit évidemment pas de dire que la classe politique française est nazie. Seul National Hebdo réclame clairement des "rafles" et des "camps de concentration" pour "régler" la "question immigrée" (sans d’ailleurs être inquiété par la Justice française) . Mais force est de constater que la classe politique et la presse ouvrent la voie aux nouveaux nazis, en habituant les esprits à l’idée que "l’immigré" est le mal absolu, comme elles l’ont fait dans les années trente. "

Comme vous pouvez le voir, notre texte affirme clairement que ni Patrick Weil, ni Serge Dassault, ni Michel Poniatowski, ne sont des nazis. Quant à notre dernière phrase, si elle propose effectivement une comparaison historique, ce n’est pas entre ces gens et les Nazis, mais entre ces gens et la classe politique française républicaine des années trente, qui sans en mesurer toutes les conséquences, a par ses dérives racistes et xénophobes préparé un terrain idéologique qui a rendu possible ensuite le nazisme, la collaboration et le manque de réaction face à la Solution Finale. Nous développons ce point dans l’article " Histoire " de notre Dictionnaire.

Enfin, nous ne nous reconnaissons absolument pas derrière l’étiquette "ultra-gauche" dont nous affuble Mme Roudinesco. Rien ne permet de nous rattacher à ce courant politique : ni le contenu de notre livre (qui en appelle sans cesse aux principes républicains de liberté, d’égalité et de fraternité), ni l’éditeur (Dagorno). Nous n’avons aucune accointance passée ou présente avec ce courant politique, que nous connaissons d’ailleurs très mal. Nous savons seulement qu’il est assez divers, et que certains courants ou au moins certaines personnalités de l’ultra-gauche ont connu des dérives négationnistes. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’appellation "ultra-gauche" nous paraît infamante.

Vous comprendrez, j’espère, notre perplexité, et notre réaction Nous espérons que vous accepterez la proposition que nous vous faisons de discuter sereinement de ce malentendu, et de trouver ensemble un moyen de le réparer.

Bien cordialement à vous,

Sylvie Tissot

Pierre Tevanian

Cette lettre est donc restée sans réponse. Plus d’un an après, le livre des deux auteurs vient d’être ré-édité en poche, et les propos diffamatoires d’Elisabeth Roudinesco y figurent toujours. Rien n’a été modifié, et nous n’avons évidemment ni l’argent, ni le temps d’attaquer cette dame en justice. Elle peut donc calomnier en paix... Mais il nous parait utile de rendre publiques les mauvaises manières d’un certain microcosme intellectuel.