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L’indocile fi-fille à son vilain papa

Quand Libération valide la stratégie lepéniste dite de dédiabolisation

par Pierre Tevanian
1er mars 2024

Qu’on n’ait pas fini de regretter la beauté, la poésie et la douce folie de « L’oeil de Willem » dans Libération, nous l’avons déjà dit. Que la vignette qui lui a succédé dans le même bas de la même page « Idées / Débats », sous le presque même intitulé, « L’oeil de Coco », soit plus qu’à son tour consternante voire écoeurante de laideur, de grossièreté et de relents « gaulois », misanthropes et réactionnaires, pas vraiment féministes ni « inclusifs » (en bref : le plus mauvais de la tradition du plus mauvais Charlie), cela aussi fut évoqué. Mais on ne pensait tout de même pas, dans les pages de Libération, tomber – dans tous les sens du terme – sur de telles insanités...

Grâce à « l’oeil » clairvoyant de « Coco », donc.

Il s’agit d’un dessin de presse, comme il en parait un chaque jour dans cette page « Idées / Débats » du quotidien Libération. Un dessin qui, comme l’indique le nom de la rubrique, véhicule des idées et les verse au débat. Un éditorial dessiné, en somme.

Le contexte : la panthéonisation bienvenue, bien que tardive, de Missak et Mélinée Manouchian, et l’intégration, avec eux, des dix de l’Affiche Rouge, des vingt-deux fusillés et de leur camarade Olga Bancik, raflée aussi et décapitée. Et, avec eux, de tout le groupe FTP-MOI, et de toute la contribution, précoce, constante et massive, des résidents étrangers dans la Résistance française contre le nazisme.

Le contexte, encore : le vote, quelques semaines plus tôt, d’une abjecte loi Immigration, inspirée, soutenue et célébrée par le Rassemblement National, qui inscrit dans le marbre de la loi des reculs sans précédent depuis Vichy sur les libertés fondamentales et le principe constitutionnel d’égalité des droits. La consécration explicite, par l’ensemble de la droite parlementaire et par le législateur, du principe vichyste fondamental, réintroduit dans le débat public par Jean-Marie Le Pen, porté ensuite par Marine Le Pen : la « préférence nationale ».

Le contexte, toujours : l’annonce, quelques jours avant la panthéonisation, d’une suppression pure et simple du droit du sol à Mayotte, reprenant là encore l’une des plus anciennes antiennes du Front puis du Rassemblement National.

Dans cette actualité, et les multiples contradictions qui s’y manifestent, il y avait matière à mille et unes caricatures, pointant par exemple l’abyssale impudence et la non moins abyssale tartufferie des panthéoniseurs, Macron en premier lieu qui célébrait il y a peu l’ultra-raciste Pierre Loti, le criminel Napoléon et le Maréchal Pétain requalifié en « grand soldat », mais aussi son ministre Darmanin, apologue de la politique antijuive de Napoléon, ou encore sa ministre Rachida Dati, connue pour son soutien sans faille au plus grand massacreur d’Arméniens des dernières décennies, Ilham Aliyev, mais aussi les fascistes du RN qui, contre l’avis maintes fois répété des familles de Manouchian et de ses camarades, se sont incrustés à la cérémonie.

On avait en somme, concernant les angles d’attaque, l’embarras du choix. Que pensez-vous qu’il advint, sous la plume ou le crayon de notre dessinatrice ?

D’un côté une petite « Marine », accompagnée d’un autre jeunot, sans doute Jordan Bardella, et de l’autre un vieux et vilain papa Jean-Marie, sur sa chaise roulante. Relents âgistes et validistes ? Il me semble, mais poursuivons.

Marine prévient son papa : « On va à la panthéonisation de Manouchian ». Papa s’étrangle de rage et de désarrois : « Pétain, au secours ! ».

Pas drôle ? En effet, mais là n’est pas le plus important.

Le plus important., c’est qu’à l’heure où les néofascistes sont aux portes de l’Élysée, tout leur story-telling mytho se trouve validé en une petite vignette, bien laide esthétiquement, et plus encore éthiquement et politiquement : le RN a « évolué », « Marine » peut sans problème célébrer la Résistance immigrée, et seul le vieux papa hors-jeu a quelque chose à voir avec le racisme, le nazisme et le pétainisme.

Messieurs-dames les « dédiaboliseurs », on ne vous dit – vraiment – pas merci.